par Isabelle Noury
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4 décembre 2021
Ces relations se vivent aussi bien à travers la mise en vente et l’achat d’un produit/service (transaction économique), que dans l’animation du vivre ensemble (lien social) et le rapport au cadre global (préservation du climat). C’est cette dimension systémique, qui associe toutes les formes de relations et les fait monter en qualité, que l’entreprise est aujourd’hui appelée à considérer et à orchestrer à son échelle, en interaction avec tous les autres organismes engagés dans un mouvement similaire. Et elle ne peut le faire efficacement sans se plonger dans la complexité que, souvent, elle redoute… Une complexité née de la transformation des systèmes relationnels Evoquer la complexité de nos environnements est devenu un lieu commun ou, plus précisément, une expérience commune. Nul n’est protégé du raccourcissement des cycles de marché et de son corollaire, le manque de visibilité. Plus personne n’échappe aux contradictions issues de la diffraction des attentes, ni aux difficultés à faire entrer dans des cases préétablies des comportements de plus en plus hybrides. La complexité perçue provient d’une transformation de la nature des relations (à la personne, au produit, au service, à l’environnement) : Quantitativement. Avec les outils numériques associés aux supports physiques, chacun peut communiquer et animer son réseau, hors de tout organigramme ou organe officiel de publication : les émetteurs, les destinataires et les canaux créés entre eux se démultiplient, les flux relationnels se produisent en continu et dans tous les sens. Qualitativement. Les réseaux, formés autour de points communs, s’entrelacent et parfois s’opposent : la convergence d’intérêts sur certaines thématiques (acheter un SUV pout le confort et la sécurité par exemple) n’empêche pas la divergence d’opinions avec d’autres sujets fédérant aussi des points de vue (tels que la nécessité d’éviter les émissions de gaz à effet de serre). En outre, dans le cadre de la relation, les rapports de force basculent (l’entreprise tourne autour du client et non plus l’inverse ; les candidats au recrutement deviennent plus sélectifs face à des employeurs contraints par la pénurie des compétences), les caractéristiques fusionnent (le consommateur devient coproducteur ; le salarié, client interne), les attentes s’individualisent, conduisant chacun à revendiquer comme légitime en soi un besoin personnel. Les systèmes relationnels mutent, s’associent ou se confrontent, mêlant pour chaque individu qui les compose rationalité et émotion, objectivité et subjectivité, intérêt personnel et attention au bien commun . La complexité de nos environnements naît de cette explosion hors des cadres établis de tous ces flux relationnels. Elle appelle, pour la déchiffrer, de nouvelles grilles de lecture. Surtout, elle invite à reconsidérer l’ensemble de nos échanges sous un prisme bien plus humain. Tenter de dépasser la complexité ou approfondir ce que nous avons tous en commun ? Une première approche consiste à chercher de nouvelles voies pour conjurer une complexité perçue comme anxiogène. Certains paradoxes sont effectivement dépassables : ils sont les symptômes apparemment inconciliables d’une même situation source*. Mais beaucoup d’autres paradoxes, paralysants et malsains (injonctions paradoxales, sophismes…), doivent être tranchés net comme des nœuds gordiens. Et à supposer que certains paradoxes soient dépassés, resterait la complexité globale, celle qui s’exerce à des échelles sur lesquelles nous n’avons pas de prise directe, qui ne manquerait pas de générer d’autres contradictions, dépassables ou non. Miser, pour trouver des voies larges et droites comme des autoroutes, sur des produits inédits ne sera dans l’avenir soutenable qu’à condition qu’ils soient conçus, fabriqués et commercialisés en considérant la limite des ressources, c’est-à-dire dans la relation à l’environnement . Restent quatre voies pour tenter de conjurer, sans changer nos paradigmes, la complexité de nos systèmes relationnels : l’innovation miraculeuse qui ferait reculer tout risque climatique, économique et sociétal et nous permettrait de poursuivre sur notre lancée, la découverte à court terme d’une nouvelle planète nous permettant de reproduire les mêmes comportements mais avec davantage de marge de manœuvre, la machinisation d’un monde sans humain ni émotions, ou le transhumanisme, l’ère de l’Homme autre qu’humain qui, à moins de devenir complètement artificiel, ne saurait se départir de ses émotions et de son besoin de relation. Une autre approche consiste à ne pas chercher à dépasser la complexité mais à plonger au plus profond des courants qui la traversent, c’est-à-dire au plus profond des relations . Et là, il n’y a ni théories ni grands discours, mais le renforcement de comportements positifs : l’écoute patiente et volontaire d’autrui, l’observation des interactions de nos écosystèmes, l’acceptation simple et humble que la complexité est inhérente au vivant et qu’elle nous dépasse. Considérer que la complexité est tissée de relations vivantes ouvre un champ infini de combinaisons, de possibilités et de dynamiques, tout en nous rassemblant autour de notre seul point absolument commun : notre humanité. L’entreprise comme espace créateur de relations à valeur ajoutée L’entreprise est d’abord une communauté humaine, qui fédère autour d’un projet. Elle est même l’une des communautés où la relation s’exerce le plus souvent dans l’effort : les collaborateurs sont recrutés pour leurs compétences et leur motivation mais se choisissent rarement les uns les autres. L’enjeu, dès lors, est de faire équipe au-delà des affinités naturelles. La relation dans l’entreprise est d’autant plus précieuse qu’elle n’est pas évidente. Il en va de même avec la relation client, qui reste superficielle quand elle assimile le client au seul consommateur et non à la femme ou l’homme qui partage avec les membres de l’entreprise la même humanité. Nombre d’entreprises, pour gagner en visibilité dans leurs environnements, ont fait le choix de construire un système relationnel qui constitue pour elles un environnement favorable : un système bien identifié de relations constructives, dans lequel leurs valeurs, qui colorent aussi bien leur manière de travailler ensemble que leurs produits et services, font écho aux valeurs des utilisateurs. Pour elles s’atténue le caractère anxiogène de la complexité : il fait place au défi et à l’aventure de la relation. Plusieurs pistes peuvent être explorées pour donner à la relation une place centrale et répondre davantage aux aspirations de toutes les parties prenantes de l’entreprise. Parmi elles : Faire du service RH non plus un « gestionnaire des ressources humaines » mais un « animateur des relations humaines ». Considérer l’Homme comme une ressource, même avec respect et empathie, reste une manière de l’instrumentaliser. L’homme, la femme ne sont pas des ressources mais des contributeurs. Continuer à décloisonner les secteurs pour assouplir les freins culturels. Difficile parfois d’évoquer le coaching dans l’industrie (parce que les collaborateurs ne souhaitent pas développer leurs talents ?), ou le marketing dans le médico-social (parce que les utilisateurs ne doivent pas être au cœur des process ?) : pure question de représentation ! S’inspirer de modèles issus du monde associatif, de l’éducation, de l’économie sociale et solidaire, notamment précurseurs dans la définition et la mise en œuvre de « projets d’entreprise ou d’établissement » au service des utilisateurs. Associer aux compétences techniques et aux sciences « exactes » les sciences humaines (sociologie, psychologie, philosophie…). Placer la communication au service de la relation , et non la déployer pour elle-même ou pour le seul objectif d’accroître son image et sa notoriété. S’accorder du temps, dans l’urgence du quotidien , pour revisiter le sens, la mission, les valeurs, la singularité de l’entreprise, qui nourrissent en permanence le projet et la relation. Pour assurer son développement durable et celui de son écosystème, l’entreprise a toutes les raisons d’investir dans la création et l’animation de relations à valeur ajoutée, de relations mutuellement enrichissantes. A iso qualité/prix des produits et services, c’est la dynamique de l’entreprise perçue par ses publics qui produit son attractivité , l'envie de se joindre à son projet, principale condition aujourd’hui de sa compétitivité. En investissant dans l’humain et la relation, l’entreprise gagne et partage un supplément d’âme**. *Par exemple, la nécessité de se réunir et le rejet de la réunionite peuvent être conciliés à travers l’organisation de réunions plus efficaces dans un cadre décalé, qui répondra au besoin fondamental d’échanges d’informations. ** Animer a pour origine étymologique « anima », en latin : le souffle, la vie, l’âme. Isabelle Noury, Séquences Méta